Au Salon de l’agriculture, des éleveurs se disant victimes des ondes électromagnétiques alertent

Les éleveurs de l’association Anast (Animaux sous tension) estiment que les ondes électromagnétiques et électriques sont responsables des difficultés de leur cheptel. Ils étaient présents mercredi au Salon de l’agriculture pour interpeller le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau.

Martin Fort
Au Salon de l'agriculture, le 1er mars à Paris
Au Salon de l’agriculture, le 1er mars à Paris © Martin Fort / Le JDD

Joël De Konick déroule timidement la banderole qu’il a tenue dans les mains toute la matinée : « Nous défendons les élevages victimes de pollutions électriques et électromagnétiques. » Planté à l’entrée du pavillon 4 du Salon de l’agriculture, à Paris, le message ne peut désormais plus être ignoré par les nombreux passants ce mercredi 1er mars. Et c’est le but : l’association Anast (Animaux sous tension), dont il est le trésorier, est venue au plus grand raout agricole de France pour faire connaître son combat. Depuis plusieurs années, elle tente d’alerter sur un danger qui guette, selon ses membres : « la pollution invisible » issue de la multiplication des antennes-relais, des éoliennes et des lignes à haute tension aurait des conséquences très graves sur le cheptel de certains éleveurs.

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Quelques pas plus loin, le président de l’Anast, Hubert Goupil, déroule son argumentaire : « Alors que j’étais producteur de jeunes bovins, et ma compagne de poules, nous avons été touchés par une mortalité importante, et inexpliquée, à partir de 2012. Mes veaux mourraient au bout de deux ou trois jours. Les poules ne pondaient plus que 100 œufs par jour au lieu de 1 300. » Conseillé par un « géobiologue » – une discipline considérée comme une pseudoscience par l’Association française pour l’information scientifique -, Hubert Goupil met en cause l’antenne de téléphonie et le paratonnerre positionnés en amont sur une rivière souterraine qui traverse également son bâtiment d’élevage.

Enedis condamné

Son histoire est symbolique car semblable à celle de la plupart des 150 éleveurs qui se sont plaints auprès de l’association : la mortalité qui touche subitement les animaux, l’incapacité à résoudre le problème, avec la crainte d’être considéré comme un mauvais éleveur, et, pour terminer, la désignation floue du coupable, les ondes électromagnétiques et électriques, grâce à l’aide d’un géobiologue.

Dans leur communication, les membres de l’Anast mettent en cause « l’implantation sur le territoire national d’une multitude de nouvelles technologies », de l’antenne-relais, à l’éolienne, en passant par les panneaux photovoltaïques.

En 2019, j’ai payé le déplacement de la ligne électrique et tout est rentré dans l’ordre

Alain Crouillebois, membre de l’association Anast

Les éleveurs savent que les preuves scientifiques manquent pour établir un lien de causalité entre champs électromagnétiques et électriques et les difficultés que peuvent subir leurs animaux. Toujours est-il que ceux-ci souffrent, que personne ne sait pourquoi et que les éleveurs obtiennent des résultats dans leurs démarches empiriques : en 2012, les vaches d’Alain Crouillebois ont commencé à être perturbées (infections, manque de sommeil, troubles de l’alimentation, notamment) après l’installation d’une ligne électrique de 20 000 volts à proximité de son exploitation.

« En 2019, j’ai payé le déplacement de la ligne et tout est rentré dans l’ordre », fait-il valoir. En novembre 2022, Enedis a été condamné par le tribunal d’Alençon à payer 140 000 euros à Alain Crouillebois pour rembourser en partie les dégâts qui sont imputés à la ligne électrique ; l’énergéticien a fait appel.

On nous oppose que le lien de causalité entre les ondes et les symptômes n’est pas établi. Nous souhaitons inverser le problème : ce sont les opérateurs qui doivent prouver que les ondes n’en sont pas la cause

Henri Boulan de l’association Robin des toits

Les éleveurs ne s’opposent pas à la mise en place de travaux plus rigoureux et ont profité de la présence de Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, pour l’interpeller mercredi : « Nous lui avons demandé qu’il saisisse la science », insiste Joël De Konick.

En 2021, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avait conclu que la recherche scientifique restait largement insuffisante pour connaître l’impact des champs électromagnétiques et électriques sur les animaux. Deux ans après, rien n’a changé malgré les préconisations des parlementaires regrettent les membres de l’Anast.

Les « électrohypersensibles » s’en mêlent

En revanche, depuis quelques mois, ces éleveurs peuvent compter sur le soutien des associations qui tentent de faire reconnaître les ondes comme étant la cause des handicaps des personnes dites « électrohypersensibles » (EHS). Celles-ci font état d’un mal-être aux symptômes variables mais à la conclusion semblable à celle de l’Anast : à l’abri des ondes, tout va mieux.

Henri Boulan, petit air de Jean Ferrat, représente l’association Robin des toits en Île-de-France. En observant le dépliage de la banderole, il explique que son combat et celui de l’Anast sont les deux faces d’une même pièce : « Nos problèmes sont les mêmes. Seulement, les animaux sont plus sensibles que les hommes. Avant, chacun était dans sa chapelle mais nous avons décidé de nous rapprocher. » Une fédération qui les réunit devrait bientôt voir le jour.

La première rencontre a eu lieu en octobre 2022 à Mazeyrat-d’Allier (Haute-Loire), lors d’un rassemblement en soutien de l’éleveur Frédéric Salgues. Celui-ci se démène depuis plusieurs mois contre la présence d’une antenne-relais installée en juillet 2021 à proximité de son terrain sur lequel il élève des vaches. Sur les 200 qu’il compte, Frédéric Salgues dit en avoir perdu une cinquantaine depuis la présence de l’antenne 4G. Et celles qui restent ne produiraient plus que 10 litres de lait par jour contre 25 à 30 auparavant.

En mai 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait ordonné la désactivation de l’antenne pour deux mois. Comment allaient réagir les vaches de l’éleveur ? Finalement, le test n’aura pas lieu : en août, le Conseil d’État, sollicité par Bouygues Télécom, Free, SFR et Orange, décide d’annuler la décision du tribunal clermontois. « On nous oppose souvent que le lien de causalité entre les ondes et les symptômes rencontrés par les animaux et les humains n’est pas établi. Nous souhaitons inverser le problème : ce sont les opérateurs qui doivent prouver que les ondes n’en sont pas la cause », expose Henri Boulan.

L’enjeu est majeur pour les opérateurs téléphoniques, comme pour les personnes et les animaux sensibles : en France, à la suite d’une campagne d’installations d’antennes-relais, il n’existe quasiment plus de zones blanches, c’est-à-dire de territoires totalement préservés des ondes électromagnétiques. « Si vous creusez bien profond dans la terre, vous aurez une zone blanche », ironise à moitié Henri Boulan. Dans sa maison de banlieue parisienne, il a fait creuser un sous-sol recouvert une chape de plomb : sa femme est électrohypersensible.