14 octobre 2021
Serge,
Pas très facile de t’adresser ces mots, et les phrases authentiques pour parler d’un si long
combat, d’une si longue route que celle qui fut la tienne depuis plus de 30 années de recherche
de la vérité sur ce piège complexe que sont les courants électriques divers et variés et les
champs électromagnétiques.
Il y a un an environ, lors d’un déplacement en direction du Mans, tu me dis ceci : « si toutefois
il m’arrivait quelque chose, il faudra parler de l’ANAST, des éleveurs, de leur souffrance et
bien redire que le scandale qui empêche la vérité d’aboutir est le plus insupportable que
nous subissons ».
Depuis cette fin des années 80, lorsque les anomalies et les troubles de comportement
surviennent sur le troupeau laitier de la ferme du Tertre, Serge, l’éleveur à la pointe du progrès
technique, génétique et sanitaire ne supporte pas de ne pouvoir régler ce qui naturellement
devait l’être.
Alors il s’est mis à chercher. Le transformateur d’électricité haute tension et les nombreuses
lignes surplombant la ferme ne seraient-elles pas responsables de quelque chose ?
Commence le long parcours afin de faire émerger la réalité de ce que semble être la difficile
cohabitation des pollutions électriques et électromagnétiques avec le monde animal et
végétal.
Serge, fort de son savoir paysan, interroge vétérinaires, nutritionnistes, scientifiques,
physiciens, géologues, géobiologues : comment expliquer que les anomalies de
comportement du troupeau coïncident à un changement de direction du vent, au ciel qui se
couvre, à la pluie qui arrive, aux périodes de sécheresse qui sévissent. A chacune de ses
observations, la même réponse : on ne peut rien prouver.
Qu’à cela ne tienne ! Tu achètes des appareils de mesure, tout ce qu’il y a de plus professionnel
au grand étonnement du fabricant qui se demande bien ce qu’un paysan peut en faire …
Te voilà physicien dans tes pâturages, arpentant les lignes, mesurant sous les pylônes.
Comprendre pour agir, comprendre pour s’en sortir, comprendre pour apprendre de ces
phénomènes. Apprendre pour comprendre.
Et dans cette quête de vérité, tu croises la route de Jean-Yves et Joël, les bretons éleveurs de
porcs. Ensemble, vous ne ratez rien : les colloques parisiens sur le sujet même sans invitation
officielle, à l’assemblée nationale, au sénat, à la cité des sciences, à l’Inra de Ploufragan.
Le sujet fait débat mais pour vous, toujours pas de solutions en vue. Le ton et la détermination
montent en vous. C’est à l’école vétérinaire de Maison-Alfort que nous irons chercher des
réponses. Un bus de 40 éleveurs débarque devant l’entrée par un matin frais de février 1994.
Coup de talon sur le fil électrique sécurisant l’entrée et le portail se soulève.
Direction le laboratoire du professeur Brugères dont les recherches sur les effets des courants
électriques sur les animaux sont financées par EDF : « où en est la recherche ? » s’emporte
Serge en saisissant son col de chemise. « On veut des réponses ! ». La soi-disant recherche,
c’était quelques cages en plastique avec des rats. Ce jour-là, on a tous compris que la science
n’aiderait pas les éleveurs. Et plus grave, mais ça, on s’en est rendu compte plus tard : la
science a penché du côté des industriels pour décrédibiliser les affirmations des éleveurs
victimes des ouvrages électriques.
Ces constats n’ont fait que renforcer ta détermination Serge, ta ténacité, ta volonté d’aboutir
et de faire émerger la vérité.
Déjà, on a des victoires. Un ministre de l’agriculture, finistérien, voisin de Jean-Yves, ne met
pas en doute la parole de ces éleveurs victimes. Avec son appui, nous obtenons la première
mission ministérielle dans les fermes impactées. (hélico). Dans la foulée, un rapport est publié
qui reconnaît pour la première fois que les champs électromagnétiques émis par les lignes
peuvent être nocifs pour la santé animale.
Une sacrée avancée qui donne naissance au GPSE, le groupe permanent de sécurité électrique
dans les élevages. Avec ses innombrables réunions parisiennes où Serge et Jean-Yves (Anne)
affrontaient EDF et les experts asservis à cet industriel. Des réunions épuisantes, éprouvantes
et pour moi témoin, je voyais un combat inégal, …David contre Goliath.
Serge, tu étais celui qui avait les pieds dans la glaise, avec un savoir de terrain capable de
contester la légitimité des normes officielles appliquées aux installations électriques des
élevages et d’affirmer qu’elles n’étaient pas adaptées aux animaux et qu’il y avait une
différence entre la théorie et l’application en pleine nature.
Tout au long de ces trente années, Serge, Joël, Jean-Yves, vous n’avez cessé de proposer votre
ferme comme un lieu d’expérimentation pour prouver les vérités. Ce qui a toujours été
refusé…
Il fallait se serrer les coudes pour résister et ne pas sombrer. C’est ainsi que l’Association
nationale Animaux sous tension est née en février 1993, suivie de la première conférence de
presse à Rennes. Ne surtout pas rester seul pour ne pas mourir. Et gardez la tête haute.
Ne rien céder aux lobbies, c’est la force de Serge. Comme cette benne de fumier déversée
devant la porte du transformateur, assortie de l’injonction : « Merlin, t’as voulu la merde, tu
l’as ».
Ou ces factures d’électricité que tu refusais de payer, telle la certitude de te faire rembourser
de ton préjudice. Jusqu’au matin, un brin provocateur, tu as accroché ton chèque au sommet
d’un poteau électrique.
Combien de fois l’opérateur t’a coupé l’électricité au moment de la traite pour te faire céder…
Je me souviens, c’est moi qui tenais l’échelle le temps que tu réarmes le compteur.
La violence n’est pas du côté des éleveurs, elle est du côté des lobbies de l’électricité. Comme
cette fois où les forces de l’ordre t’ont retenu chez toi le temps de l’élévation d’un pylône.
Tu dérangeais
Serge, il fallait du courage pour déranger.
Toi, l’homme au caractère bien trempé, tu n’as rien lâché.
En interrogeant le Petit Robert, je suis tombé sur la définition suivante : un caractère bien
trempé ; qui a de la trempe, c’est-à-dire qui a une constitution de corps et de caractère fort,
qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. D’une fermeté morale, intellectuelle, énergie en
face des épreuves, envergure. Une stature.
Grâce à ton expérience de praticien éleveur, de paysan, tu as développé une véritable
expertise, qui, mise au service d’éleveurs en difficulté, a permis d’apporter une explication et
des adaptations techniques au cas par cas. Tu ne les as jamais laissés seuls. Tu le répétais sans
cesse : tous ces problèmes ont des incidences économiques, sociales, psychologiques et
environnementales qui faisaient que tu ne les abandonnais pas. Et pour cette raison, tu as
tracé des milliers de kilomètres sur tous les départements de France, poussant jusqu’en
Belgique où tu y as trouvé la même galère chez des éleveurs de bovins.
Serge n’a rien négligé pour constituer le puzzle des pièces à conviction : les mètres cubes
d’archives, le classement hautement tenu de ces milliers de feuilles, ces cassettes
d’enregistrement et de films sans oublier très tôt de veiller à la communication par les médias
et tous les moyens mis à sa disposition au fil des évolutions.
Parce qu’il fallait faire passer le message : le danger vient de ces fameux courants parasites
véhiculés par le sol où eau et électricité ne font pas bon ménage. Jusqu’à venir polluer
l’intérieur des bâtiments d’élevage via les rivières souterraines.
Une vérité que tu as répétée en février dernier devant l’Office parlementaire d’évaluation des
choix scientifiques et technologiques. Pour la première fois en trente ans, des parlementaires
entendaient la parole des éleveurs. « Ce ne sont pas des affabulateurs » a reconnu le député
Cédric Villani, président de la commission.
Enfin, un début de reconnaissance pour toutes les victimes.
Désormais, nombre de dossiers judiciaires se construisent jour après jour. Ils s’appuient sur
tout notre travail de lanceur d’alerte. Et tu n’en as pas perdu une miette, encore jeudi dernier
depuis ton lit d’hôpital, lorsque nous avons échangé quelques mots par téléphone sur
l’audience de Didier et Muriel à Nantes. Et tu étais heureux d’apprendre que le suivant sera
celui de Yann au tribunal de Paris, le 16 novembre prochain.
Serge, nous nous sentons aujourd’hui un peu orphelins.
Mais j’ai bien entendu ton message samedi matin : BATTEZ-VOUS, NE LACHEZ RIEN.
Serge, c’est promis, on ne lâchera rien. Et reçoit notre message : GRAND MERCI l’AMI.
F.DUFOUR